Jeunesse
Cycle 2
Histoire jeunesse
4 min
Rendez-nous la maîtresse !
Caroline Schwab
Dès le matin, j'ai remarqué que quelque chose clochait. Comme toujours, en nous installant en classe, nous discutions, les copains et moi. Mais contrairement à d'habitude, la maîtresse ne nous a pas interrompus. D'ailleurs, c'est ça qui nous a fait taire, petit à petit : cette impression étrange que notre maîtresse ne réagissait pas. Au lieu de taper dans ses mains ou d'élever la voix en disant : « Silence, les enfants », elle était assise à son bureau... et se limait les ongles !
Du coup, Alan a demandé :
— Bah Maîtresse, on ne travaille pas aujourd'hui ?
— Si, a-t-elle soupiré, puisque vous insistez...
Nous avons sorti nos cahiers et recopié la phrase écrite au tableau :
« Manon peint ses vieux volets rouillés. »
Nous devions réécrire cette phrase, au futur, à l'imparfait... D'habitude, nous devons aussi analyser les mots, mais... pas aujourd'hui, puisque la maîtresse a décrété qu'elle « n'en avait pas envie » !
À la correction, Samia a proposé : « Manon peindra ses vieux volets rouillés. »
La maîtresse a dit :
— Moi, j'aurais plutôt dit : « Manon peinturera ses volets », mais tu dois sans doute avoir raison... C'est compliqué la conjugaison, ça change tout le temps ! Passons à la lecture !
J'en revenais pas ! Pourtant, je n'aimais pas la conjugaison, mais là...
Samia a dit :
— Maîtresse, on n'a pas corrigé l'imparfait !
— On s'en fiche !
Oui, vous avez bien lu. La maîtresse a dit : « On s'en fiche ! ».
En lecture, ça a été pire encore.
On avait à peine sorti nos textes qu'il a fallu les ranger ! La maîtresse avait pourtant demandé :
— Qui a envie de lire ?
Quatre ou cinq mains s'étaient levées.
— Ah bon ? s'est étonnée la maîtresse, mais lire ça fait mal aux yeux ! Et puis il ne pleut pas, si ? Alors, pourquoi rester enfermés ? On serait bien mieux dehors à jouer au foot ou à faire une bataille d'eau, vous ne trouvez pas ?
Du coup, notre récré a commencé avec au moins trente minutes d'avance sur les autres classes. Trop Bizarre. Alors, on s'est réuni dans le fond de la cour et on a essayé de comprendre ce qui se passait.
De retour en classe, nous devions travailler sur le contraire des mots. Vous auriez dû voir la tête de Rayan quand il a corrigé le premier exercice. Il fallait trouver le contraire de « difficile ». Rayan a proposé « facile ». La maîtresse lui a dit qu'il fallait écrire « pas difficile ». Idem avec le contraire de « beau » où elle a prétendu que son contraire était « pas beau ».
Tout le monde s'est regardé d'un air étonné.
Ensuite, nous sommes passés à l'anglais. J'adore l'anglais, enfin, d'habitude...
Mathieu a demandé à la maîtresse comment se disait drapeau.
Elle a répondu « dwapo ». On lui a fait confiance, car personne ne connaissait la réponse. Mais par contre, je sais bien que « stylo » se dit « pen » et non pas « staïlo » comme elle l'a prétendu. Quelle catastrophe ! La maîtresse ne savait plus rien !
À la cantine, nous avons pris une décision : il fallait agir, nous ne pouvions pas rester les mains dans les poches, à écouter des bêtises toute la journée.
— Il faut en parler à nos parents !
— À la directrice !
— Aux autres professeurs !
— À un directeur d'asile !
Nous avons choisi d'attendre un peu. Peut-être qu'après un bon repas, la maîtresse aurait retrouvé ses esprits. Hélas, à 13 h 30, la maîtresse était toujours toquée ! Elle nous a distribué des coloriages d'animaux de la ferme et elle a pianoté sur son téléphone !
À un moment, elle s'est levée et a écrit « ortografe » au tableau !
— Ça ne s'écrit pas comme ça, Maîtresse, a dit Lou.
— Pourquoi pas ? Tu as bien réussi à lire le mot, non ?
— Si...
— Parfait, alors ! Ce qui compte, c'est le son.
Incroyable ! Alors on allait pouvoir écrire « kayé de coraispondanse » ou même « céense de spor o jimnaze » sans que personne ne soit choqué, sous prétexte que « ce qui compte, c'est le son » !
Et la maîtresse nous réservait encore d'autres surprises : « Les problèmes, j'aime pas ça, c'est trop dur », « La géométrie, ça sert à rien, un peu comme la grammaire », « Les tables, pas besoin de les apprendre, on a tous une calculatrice, non ? », etc.
À la fin de la journée, je me suis armé de courage et j'ai dit :
— Maîtresse, pourquoi on n'apprend rien aujourd'hui ?
La maîtresse a relevé la tête, étonnée :
— Mais ? Pourquoi voudrais-tu apprendre des choses ?
La question était si étrange que je n'ai pas su quoi répondre, j'ai bredouillé :
— Parce que c'est important !
— Pourquoi ? a répondu la maîtresse. Sur internet, y a les réponses à tout, pas besoin de se prendre la tête !
Ça alors ! On s'est remis à colorier nos poules et nos moutons, ne sachant plus quoi dire ni quoi faire.
Au bout d'un moment, la maîtresse a dit :
— Je vais vous lire quelque chose.
J'ai poussé un soupir de soulagement. Ça y est, tout rentrait dans l'ordre.
Mais quand elle a commencé à lire, le soulagement a fait place au désespoir : au lieu d'une histoire, ou d'un documentaire, la maîtresse nous a lu... les blagues de Toto ! Personne ne riait... sauf elle !
Tout à coup, on a entendu la petite voix de Myriam s'élever dans la classe :
— Maîtresse, c'est pas drôle !
La maîtresse a interrompu sa lecture et a regardé Myriam :
— Comment ça ? Tu ne passes pas une bonne journée ?
— Non ! On n'a rien appris !
— Et alors ? Quelle importance ? On s'amuse !
— Mais enfin, Maîtresse ! On voudrait apprendre, réfléchir, discuter de choses intéressantes... comme avant !
Myriam était décidément bien courageuse ! Il fallait lui venir en aide.
— Oui, Maîtresse, ai-je ajouté, on ne vient pas à l'école pour se vernir les ongles ou pour raconter des blagues ! On voudrait faire marcher notre tête comme vous dites, enfin comme vous disiez...
Toute la classe a acquiescé, et s'est même mise à scander : « On veut travailler, on veut travailler ! ».
La maîtresse a souri :
— D'habitude vous vous plaignez sans arrêt qu'il y a trop de devoirs ou que les récréations sont trop courtes. Vous avez même crié « ouais ! » quand je vous ai annoncé que je serai absente une journée. Et certains ont dit « la chance », quand vous avez appris que 10 % des enfants dans le monde n'allaient pas à l'école...
J'ai voulu vous montrer qu'une journée où on n'apprend rien n'est pas forcément amusante. Et que lire, découvrir, apprendre, comprendre et réfléchir sont des activités merveilleuses.
— Alors, c'était un genre d'épreuve ? a demandé Marwan.
— Une expérience un peu différente des autres, plutôt, a répondu la maîtresse.
— Mais demain, vous serez redevenue normale ? a demandé Mathieu, inquiet.
La maîtresse a ri :
— Oui, c'est promis. Demain, je vous prépare une dictée bien longue et bien difficile pour fêter ça !
Vous savez quoi ?
On a tous crié : « Youpi ! »
Du coup, Alan a demandé :
— Bah Maîtresse, on ne travaille pas aujourd'hui ?
— Si, a-t-elle soupiré, puisque vous insistez...
Nous avons sorti nos cahiers et recopié la phrase écrite au tableau :
« Manon peint ses vieux volets rouillés. »
Nous devions réécrire cette phrase, au futur, à l'imparfait... D'habitude, nous devons aussi analyser les mots, mais... pas aujourd'hui, puisque la maîtresse a décrété qu'elle « n'en avait pas envie » !
À la correction, Samia a proposé : « Manon peindra ses vieux volets rouillés. »
La maîtresse a dit :
— Moi, j'aurais plutôt dit : « Manon peinturera ses volets », mais tu dois sans doute avoir raison... C'est compliqué la conjugaison, ça change tout le temps ! Passons à la lecture !
J'en revenais pas ! Pourtant, je n'aimais pas la conjugaison, mais là...
Samia a dit :
— Maîtresse, on n'a pas corrigé l'imparfait !
— On s'en fiche !
Oui, vous avez bien lu. La maîtresse a dit : « On s'en fiche ! ».
En lecture, ça a été pire encore.
On avait à peine sorti nos textes qu'il a fallu les ranger ! La maîtresse avait pourtant demandé :
— Qui a envie de lire ?
Quatre ou cinq mains s'étaient levées.
— Ah bon ? s'est étonnée la maîtresse, mais lire ça fait mal aux yeux ! Et puis il ne pleut pas, si ? Alors, pourquoi rester enfermés ? On serait bien mieux dehors à jouer au foot ou à faire une bataille d'eau, vous ne trouvez pas ?
Du coup, notre récré a commencé avec au moins trente minutes d'avance sur les autres classes. Trop Bizarre. Alors, on s'est réuni dans le fond de la cour et on a essayé de comprendre ce qui se passait.
De retour en classe, nous devions travailler sur le contraire des mots. Vous auriez dû voir la tête de Rayan quand il a corrigé le premier exercice. Il fallait trouver le contraire de « difficile ». Rayan a proposé « facile ». La maîtresse lui a dit qu'il fallait écrire « pas difficile ». Idem avec le contraire de « beau » où elle a prétendu que son contraire était « pas beau ».
Tout le monde s'est regardé d'un air étonné.
Ensuite, nous sommes passés à l'anglais. J'adore l'anglais, enfin, d'habitude...
Mathieu a demandé à la maîtresse comment se disait drapeau.
Elle a répondu « dwapo ». On lui a fait confiance, car personne ne connaissait la réponse. Mais par contre, je sais bien que « stylo » se dit « pen » et non pas « staïlo » comme elle l'a prétendu. Quelle catastrophe ! La maîtresse ne savait plus rien !
À la cantine, nous avons pris une décision : il fallait agir, nous ne pouvions pas rester les mains dans les poches, à écouter des bêtises toute la journée.
— Il faut en parler à nos parents !
— À la directrice !
— Aux autres professeurs !
— À un directeur d'asile !
Nous avons choisi d'attendre un peu. Peut-être qu'après un bon repas, la maîtresse aurait retrouvé ses esprits. Hélas, à 13 h 30, la maîtresse était toujours toquée ! Elle nous a distribué des coloriages d'animaux de la ferme et elle a pianoté sur son téléphone !
À un moment, elle s'est levée et a écrit « ortografe » au tableau !
— Ça ne s'écrit pas comme ça, Maîtresse, a dit Lou.
— Pourquoi pas ? Tu as bien réussi à lire le mot, non ?
— Si...
— Parfait, alors ! Ce qui compte, c'est le son.
Incroyable ! Alors on allait pouvoir écrire « kayé de coraispondanse » ou même « céense de spor o jimnaze » sans que personne ne soit choqué, sous prétexte que « ce qui compte, c'est le son » !
Et la maîtresse nous réservait encore d'autres surprises : « Les problèmes, j'aime pas ça, c'est trop dur », « La géométrie, ça sert à rien, un peu comme la grammaire », « Les tables, pas besoin de les apprendre, on a tous une calculatrice, non ? », etc.
À la fin de la journée, je me suis armé de courage et j'ai dit :
— Maîtresse, pourquoi on n'apprend rien aujourd'hui ?
La maîtresse a relevé la tête, étonnée :
— Mais ? Pourquoi voudrais-tu apprendre des choses ?
La question était si étrange que je n'ai pas su quoi répondre, j'ai bredouillé :
— Parce que c'est important !
— Pourquoi ? a répondu la maîtresse. Sur internet, y a les réponses à tout, pas besoin de se prendre la tête !
Ça alors ! On s'est remis à colorier nos poules et nos moutons, ne sachant plus quoi dire ni quoi faire.
Au bout d'un moment, la maîtresse a dit :
— Je vais vous lire quelque chose.
J'ai poussé un soupir de soulagement. Ça y est, tout rentrait dans l'ordre.
Mais quand elle a commencé à lire, le soulagement a fait place au désespoir : au lieu d'une histoire, ou d'un documentaire, la maîtresse nous a lu... les blagues de Toto ! Personne ne riait... sauf elle !
Tout à coup, on a entendu la petite voix de Myriam s'élever dans la classe :
— Maîtresse, c'est pas drôle !
La maîtresse a interrompu sa lecture et a regardé Myriam :
— Comment ça ? Tu ne passes pas une bonne journée ?
— Non ! On n'a rien appris !
— Et alors ? Quelle importance ? On s'amuse !
— Mais enfin, Maîtresse ! On voudrait apprendre, réfléchir, discuter de choses intéressantes... comme avant !
Myriam était décidément bien courageuse ! Il fallait lui venir en aide.
— Oui, Maîtresse, ai-je ajouté, on ne vient pas à l'école pour se vernir les ongles ou pour raconter des blagues ! On voudrait faire marcher notre tête comme vous dites, enfin comme vous disiez...
Toute la classe a acquiescé, et s'est même mise à scander : « On veut travailler, on veut travailler ! ».
La maîtresse a souri :
— D'habitude vous vous plaignez sans arrêt qu'il y a trop de devoirs ou que les récréations sont trop courtes. Vous avez même crié « ouais ! » quand je vous ai annoncé que je serai absente une journée. Et certains ont dit « la chance », quand vous avez appris que 10 % des enfants dans le monde n'allaient pas à l'école...
J'ai voulu vous montrer qu'une journée où on n'apprend rien n'est pas forcément amusante. Et que lire, découvrir, apprendre, comprendre et réfléchir sont des activités merveilleuses.
— Alors, c'était un genre d'épreuve ? a demandé Marwan.
— Une expérience un peu différente des autres, plutôt, a répondu la maîtresse.
— Mais demain, vous serez redevenue normale ? a demandé Mathieu, inquiet.
La maîtresse a ri :
— Oui, c'est promis. Demain, je vous prépare une dictée bien longue et bien difficile pour fêter ça !
Vous savez quoi ?
On a tous crié : « Youpi ! »
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Illustration : Pablo Vasquez
C'est la rentrée !
C'est la rentrée ! Retrouvez ici des récits et histoires pour rêver et faire de votre rentrée une aventure !